La mondialisation des parcours de vie engendre une multiplication des successions comportant des éléments d’extranéité. Lorsqu’un défunt possède des biens dans plusieurs pays ou que ses héritiers résident à l’étranger, le règlement successoral se complexifie considérablement. Le droit international privé offre un cadre pour résoudre ces situations, notamment grâce au Règlement européen sur les successions n°650/2012 applicable depuis 2015. Cette réglementation a profondément modifié l’approche des successions transfrontalières, remplaçant le morcellement territorial par une unité successorale fondée sur la résidence habituelle du défunt ou sur la loi choisie expressément. Comprendre ces mécanismes devient indispensable pour anticiper et sécuriser la transmission patrimoniale internationale.
Le cadre juridique des successions internationales : principes fondamentaux
Le traitement des successions internationales repose sur des règles de conflit qui déterminent la loi applicable. Historiquement, deux grandes conceptions s’opposaient : la théorie de la scission, privilégiée par les pays de tradition civiliste comme la France, qui soumettait les immeubles à la loi de leur situation (lex rei sitae) et les meubles à la loi du dernier domicile du défunt; et la théorie de l’unité, adoptée notamment par l’Allemagne, appliquant une seule loi à l’ensemble de la succession.
L’adoption du Règlement européen n°650/2012 du 4 juillet 2012, entré en vigueur le 17 août 2015, marque un tournant majeur dans cette matière. Ce texte consacre le principe de l’unité de la succession en désignant une loi unique applicable à l’ensemble des biens, quelle que soit leur nature ou leur localisation. Ce règlement s’applique dans tous les États membres de l’Union européenne à l’exception du Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni.
Le critère principal retenu est celui de la résidence habituelle du défunt au moment de son décès. Cette notion, volontairement souple, s’apprécie au cas par cas en considérant la durée et la régularité de la présence, ainsi que les conditions et les raisons du séjour. Un ressortissant français résidant habituellement en Espagne verra ainsi sa succession régie par le droit espagnol, y compris pour ses biens situés en France.
L’autonomie de la volonté : la professio juris
Le règlement introduit une innovation majeure avec la professio juris, permettant à une personne de choisir sa loi nationale pour régir l’intégralité de sa succession. Ce choix doit être formulé expressément dans une disposition à cause de mort (testament ou pacte successoral). Un Belge résidant en Italie peut ainsi opter pour l’application du droit belge à l’ensemble de sa succession.
Cette faculté constitue un outil précieux de planification successorale, particulièrement pour les personnes possédant des attaches dans plusieurs pays. Elle permet d’assurer une prévisibilité juridique et d’éviter certains écueils liés aux divergences entre systèmes juridiques, notamment concernant la réserve héréditaire.
Le certificat successoral européen : un instrument novateur
L’une des innovations majeures du Règlement n°650/2012 est la création du certificat successoral européen (CSE). Cet instrument, délivré à la demande des héritiers, légataires, exécuteurs testamentaires ou administrateurs de la succession, constitue une preuve de leur qualité et de leurs droits dans tous les États membres, sans nécessiter de procédure supplémentaire.
Le CSE produit ses effets dans tous les États membres sans qu’aucune procédure spéciale ne soit requise. Il forme un titre valable pour l’inscription des biens successoraux dans les registres pertinents d’un État membre, comme le registre foncier. Sa délivrance n’est pas obligatoire, mais son utilité pratique est considérable pour faciliter le règlement transfrontalier des successions.
En France, les notaires sont désignés comme autorités compétentes pour délivrer le CSE. La procédure nécessite la production de documents justificatifs (acte de décès, testament, contrat de mariage, etc.) et le paiement d’émoluments fixes. Le certificat est valable pendant six mois, avec possibilité de prolongation.
Le recours au CSE simplifie considérablement les démarches successorales transfrontalières. Prenons l’exemple d’un ressortissant allemand décédé en France possédant des biens immobiliers en Espagne : ses héritiers peuvent obtenir un CSE en France et l’utiliser directement pour faire inscrire leurs droits au registre foncier espagnol, sans passer par une procédure d’exequatur ou d’apostille.
Les limites du certificat successoral européen
Malgré ses avantages, le CSE présente certaines limitations. Il ne remplace pas les documents internes qui servent à des fins similaires dans les États membres, comme l’acte de notoriété en France. De plus, son champ d’application est limité aux questions successorales stricto sensu et n’englobe pas les aspects fiscaux, matrimoniaux ou relatifs aux trusts.
La pratique révèle parfois des difficultés d’acceptation du CSE par certaines administrations ou institutions bancaires encore peu familiarisées avec cet instrument. Un travail d’information et de formation reste nécessaire pour optimiser son efficacité.
Les conflits de lois et l’ordre public international
Malgré l’harmonisation apportée par le Règlement européen, des conflits de lois persistent, notamment avec les États tiers. Lorsqu’un défunt possède des biens dans un pays non soumis au Règlement (États-Unis, Royaume-Uni, Suisse…), les règles de conflit propres à ces pays s’appliquent, pouvant conduire à un dépeçage successoral où différentes lois régissent différentes parties du patrimoine.
Cette situation se complexifie davantage lorsque les systèmes juridiques impliqués reposent sur des traditions juridiques différentes. Les pays de common law, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, conçoivent la succession comme un processus d’administration où les biens du défunt sont d’abord dévolus à un personal representative qui paie les dettes avant de distribuer le reliquat aux bénéficiaires. Cette approche contraste avec la dévolution directe aux héritiers pratiquée dans les systèmes civilistes.
Face à l’application d’une loi étrangère potentiellement contraire aux valeurs fondamentales du for, l’exception d’ordre public international peut être invoquée. La Cour de cassation française l’a notamment utilisée dans l’affaire Jarre (Civ. 1re, 27 septembre 2017) pour écarter l’application du droit californien qui ignorait la réserve héréditaire. Cette décision illustre les tensions entre la liberté testamentaire absolue reconnue dans certains systèmes anglo-saxons et la protection des héritiers réservataires caractéristique des droits continentaux.
La question des trusts successoraux, mécanisme fréquent dans les pays de common law mais inconnu des systèmes civilistes, constitue un autre défi. Bien que la France ait ratifié la Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, l’articulation entre ce mécanisme et les règles impératives du droit successoral français reste délicate.
L’adaptation des droits étrangers
Pour résoudre ces conflits, les praticiens recourent à des techniques d’adaptation ou de substitution. Lorsqu’une institution juridique étrangère n’a pas d’équivalent exact dans le système du for, le juge recherche l’institution locale dont les effets se rapprochent le plus. Ainsi, un executor testamentaire anglo-saxon pourra être assimilé à un exécuteur testamentaire français, moyennant certains ajustements.
Les aspects fiscaux des successions internationales
La dimension fiscale constitue souvent l’aspect le plus complexe des successions internationales. Contrairement aux règles civiles partiellement harmonisées au niveau européen, la fiscalité successorale relève de la souveraineté des États et présente d’importantes disparités.
Ces divergences concernent tant les taux d’imposition que les abattements ou les règles de territorialité. Certains pays, comme la Suède, le Portugal ou l’Australie, ont supprimé les droits de succession, tandis que d’autres, comme la France ou le Japon, maintiennent une imposition élevée pouvant atteindre 45% à 55% pour les transmissions en ligne collatérale ou entre non-parents.
Les critères de rattachement fiscal varient considérablement :
- Certains pays, comme la France, appliquent une approche mixte fondée sur le domicile du défunt (imposition mondiale) ou des héritiers (imposition mondiale si résident depuis plus de 6 ans sur les 10 dernières années) et la situation des biens (imposition des biens situés en France)
- D’autres, comme le Royaume-Uni, privilégient le domicile (domicile of origin) du défunt
Cette diversité engendre fréquemment des situations de double imposition. Prenons l’exemple d’un résident français possédant un immeuble aux États-Unis : la France taxera cette succession sur l’ensemble du patrimoine mondial en raison de la résidence du défunt, tandis que les États-Unis imposeront l’immeuble situé sur leur territoire.
Pour atténuer ces effets, des conventions fiscales bilatérales ont été conclues entre certains États. La France a signé des conventions fiscales en matière successorale avec une vingtaine de pays, dont les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni. Ces conventions prévoient généralement un mécanisme d’imputation permettant de déduire l’impôt payé à l’étranger de l’impôt dû dans l’autre pays, dans certaines limites.
En l’absence de convention, le droit interne français prévoit un crédit d’impôt unilatéral (article 784 A du CGI) permettant d’imputer l’impôt acquitté à l’étranger sur l’impôt français, mais uniquement pour les biens situés hors de France.
Stratégies de planification fiscale internationale
Face à ces enjeux, diverses stratégies d’optimisation peuvent être envisagées. Le recours à des sociétés civiles immobilières (SCI) pour détenir des biens immobiliers étrangers permet parfois de transformer la nature juridique de l’actif, d’immobilier en mobilier, modifiant ainsi les règles de territorialité applicables.
Les donations anticipées, particulièrement avantageuses dans certains pays comme l’Espagne où elles bénéficient d’abattements importants dans certaines régions, constituent un autre levier d’optimisation. La création de structures de détention internationale, comme les fondations liechtensteinoises ou les trusts anglo-saxons, offre des possibilités supplémentaires, mais doit être maniée avec prudence au regard des législations anti-abus.
L’anticipation successorale dans un contexte international : outils et stratégies
La complexité des successions internationales rend l’anticipation particulièrement précieuse. La première démarche consiste à réaliser un audit patrimonial international identifiant précisément la composition et la localisation du patrimoine, les règles civiles et fiscales applicables dans chaque juridiction concernée, et les objectifs du client.
Le testament international, institué par la Convention de Washington du 26 octobre 1973, constitue un outil privilégié. Sa forme standardisée, reconnue dans plus de 20 pays signataires, garantit sa validité formelle indépendamment des règles locales. Il permet d’exprimer clairement le choix de loi successorale (professio juris) et d’organiser la transmission selon les souhaits du testateur.
Pour les couples binationaux ou expatriés, le choix du régime matrimonial revêt une importance stratégique. Le Règlement européen 2016/1103 sur les régimes matrimoniaux, applicable depuis janvier 2019, permet aux époux de choisir la loi applicable à leur régime matrimonial parmi plusieurs options (loi de résidence habituelle, loi nationale d’un des époux). Cette possibilité offre une flexibilité précieuse pour coordonner régime matrimonial et planification successorale.
Les donations transfrontalières constituent un autre mécanisme d’anticipation efficace. Une donation-partage incorporant des biens situés à l’étranger peut, sous certaines conditions, bénéficier du régime fiscal français favorable aux donations-partages. La donation graduelle ou résiduelle permet d’organiser une transmission sur plusieurs générations tout en maîtrisant la destination finale des biens.
Pour les patrimoines complexes, des structures dédiées comme les sociétés holdings familiales, les fondations (particulièrement en Suisse, au Liechtenstein ou au Luxembourg) ou les fiducies peuvent offrir des solutions sur mesure. Ces véhicules permettent de centraliser la gestion d’actifs dispersés géographiquement et d’assurer une transmission ordonnée, tout en optimisant la charge fiscale globale.
La coordination des différents outils juridiques
L’efficacité d’une planification successorale internationale repose sur la cohérence entre les différents instruments utilisés. Un testament désignant la loi française comme applicable à la succession peut se trouver contrarié par un trust irrévocable constitué antérieurement selon le droit anglais. De même, une donation soumise au droit allemand peut produire des effets inattendus au regard d’une succession ultérieurement régie par le droit français.
La coordination temporelle des dispositions constitue un défi supplémentaire. Les modifications législatives fréquentes, tant au niveau national qu’international, peuvent remettre en cause des stratégies établies de longue date. Une révision périodique des dispositions prises s’avère indispensable pour maintenir leur efficacité.
Les défis pratiques du règlement des successions transfrontalières
Au-delà des aspects juridiques et fiscaux, le règlement concret d’une succession internationale soulève de nombreux défis pratiques. La première difficulté consiste souvent à localiser l’ensemble des actifs du défunt, particulièrement lorsque celui-ci n’a pas laissé d’inventaire précis. Les comptes bancaires à l’étranger, les contrats d’assurance-vie ou les participations dans des sociétés étrangères peuvent rester ignorés des héritiers et échapper au règlement successoral.
La barrière linguistique complique considérablement les démarches. Les documents successoraux (testament, certificat de décès, acte de notoriété) doivent généralement être traduits par des traducteurs assermentés pour être recevables auprès des administrations étrangères. Ces traductions engendrent des coûts supplémentaires et allongent les délais de règlement.
Les délais de règlement varient considérablement selon les pays concernés. Une succession franco-allemande se règle généralement en 6 à 12 mois, tandis qu’une succession impliquant des actifs au Royaume-Uni peut s’étendre sur plusieurs années en raison de la procédure de probate nécessaire pour valider le testament et nommer l’exécuteur testamentaire.
La coordination entre professionnels de différents pays constitue un enjeu majeur. Notaires français, solicitors britanniques, avocats américains ou Notar allemands travaillent selon des méthodologies et des cadres déontologiques distincts. La répartition des compétences entre ces différents intervenants nécessite une orchestration minutieuse pour éviter les contradictions ou les doublons.
Le règlement des dettes successorales transnationales soulève des questions spécifiques, notamment lorsque la succession est déficitaire dans un pays mais bénéficiaire globalement. Les créanciers localisés dans différents pays bénéficient-ils des mêmes droits? Comment articuler les privilèges reconnus à certains créanciers selon les différentes législations?
L’adaptation aux spécificités locales
Chaque juridiction présente des particularités procédurales qui doivent être respectées. En Espagne, l’intervention d’un notaire local reste indispensable pour transférer la propriété d’un bien immobilier, même avec un certificat successoral européen. Aux États-Unis, les procédures varient considérablement d’un État à l’autre, la Californie ou la Floride ayant des approches très différentes du New York ou du Massachusetts.
Les délais de prescription constituent un autre paramètre à surveiller attentivement. Le droit d’accepter ou de renoncer à une succession se prescrit par dix ans en droit français, mais ce délai peut être beaucoup plus court dans d’autres juridictions. En Allemagne, par exemple, la renonciation doit être exprimée dans les six semaines suivant la connaissance du décès et de la vocation successorale.
